Pâques 2020

En chemin vers le Royaume ...

Pâques 2020 :   En chemin vers le Royaume…

A l’entrée de cette Semaine Sainte, les circonstances nous obligent à vivre le rituel pascalTombeau vide2
d’une manière particulière, plus dépouillée, plus intime.​​​​​​​
Rappelés ainsi à l’essentiel, nous voudrions partager avec vous un témoignage propre à soutenir chacun. C’est celui d’un vieil homme de 91 ans nommé François Cheng.​​​​​​​
Né en Chine - comme le Covid 19 !- poète et écrivain, il s'est installé en France en 1948 et a été reçu à l’Aca​​​​​​​démie Française en 2002 . En évoquant ici son itinéraire spirituel, il nous dit combien sa foi lui fait placer toute son espérance en Jésus, dans la certitude intérieure que cette rencontre lui ouvre à la vie.                                                      

« Ma rencontre avec Jésus est tardive. Je veux dire ma vraie rencontre avec lui, d'être à être, au point d'entrer dans sa vérité et d'être habité par elle, par le désir que son Règne vienne. Le caractère tardif de cette découverte est d'abord dû à ma propre itinérance tortueuse, il est aussi la conséquence de mille faits historiques qui ont brouillé l'image même de Jésus. 

Pourtant, dès l'âge de 8 ans, une interrogation commence à me harceler, encore confuse mais déjà déchirante. Elle a fondu sur moi un jour de 1937. Comme les années précédentes, notre famille passe l'été au mont Lu, l'un des plus beaux sites de Chine, hanté depuis l'Antiquité par les grands spirituels et les artistes parmi les plus célèbres.  

A travers ces maîtres, on voit que le bien est incarné par la beauté de l'âme. La vision des jeunes filles jouant et riant dans leur baignade sous les cascades ajoute un éclat de joie au paysage. C'est en ce haut lieu, où terre et ciel sont en dialogue harmonieux, que le septième jour du septième mois, nous entendons l'annonce de la tragédie : mettant à exécution un plan longuement préparé, le Japon déclenche la guerre contre la Chine. 

En raison de ce bouleversement, nous ne descendrons de la montagne que l'hiver venu. L'enfant de 8 ans que je suis quitte une nature digne dans sa vêture de neige d'une blancheur immaculée, et découvre, en bas, le pays à feu et à sang. Le massacre de Nankin, dont il entend les récits et voit les photos, lui laisse pour toujours un goût de terreur : masses d'hommes tués à la mitrailleuse ou enterrés vifs, concours de décapitation, prisonniers attachés vivants sur des poteaux pour être les cibles d'exercices d'attaques à la baïonnette, femmes violées partout à ciel ouvert, femmes enceintes éventrées, etc.  

J'apprendrai plus tard que la cruauté sans limites est un fait relevant de l'humanité entière. Toujours est-il que ma jeune âme a ce jour-là appris ceci : aucune vérité de vie ne sera désormais valable à ses yeux si elle ne répond pas de façon absolue à la double question posée par les deux mystères qui campent aux extrémités de l'univers vivant, le mystère de la beauté sublime et celui du mal radical. 

Au bout d'un cheminement fait d'errance et d'errements, chargé des blessures que j'avais reçues et de celles que j'avais infligées à d'autres, j'ai fait enfin la rencontre de Jésus. Je me suis dit alors: "C'est donc arrivé." Quoi ? Quelqu'un est venu et a vécu parmi nous, il a dit des paroles et fait des gestes à nul autre pareils, qui nous montraient que le Royaume est parmi nous. Puis, lui l'innocent par excellence, prenant ainsi en charge l'humiliation de tous les innocents martyrisés du monde, il s'est laissé clouer sur la croix. En un unique acte et un acte unique, il a tenu les deux bouts de la vérité.  

C'est bien ce qui est arrivé: il a affronté le mal radical, et dans le même temps, il a montré qu'existe le bien absolu - l'amour absolu. Il est passé par cette mort indispensable, parce que c'était la seule manière justement de vaincre la mort, en offrant une voie ouverte à la destinée humaine. Avant lui, personne n'était allé aussi loin. Après lui, personne ne pourra aller aussi loin. Dans la continuité du temps humain, une coupure s'est effectivement faite : avant lui / après lui.

Accomplissant son acte suprême, s’est-il appuyé sur ses seules forces, sa seule volonté ? Cet accomplissement aurait-il été possible sans cet Amour absolu Qu’il portait jusqu’à la transcendance, et qui était en même temps si proche pour lui qu’il l’appelait Père ?

En toute simplicité, il eut souci de nous faire don d’une prière qui résonne désormais dans toutes les vallées perdues du monde : la prononçant, chacun se voit offrir le Royaume et le pardon, entre en communion avec d’autres qui la prononcent en même temps, par-delà temps et espace, avec l’univers vivant en transformation, qui n’a de cesse d’advenir. »